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  • Pour mémoire :Alain Bué (1946-2023)

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  • Pour mémoire : Alain Bué (1946-2023)
     
    Maître de conférences de géographie à l’Université de Vincennes à Saint-Denis (Paris 8), il est décédé le 8 mai. Il fut à Vincennes dès la fin 1968, très impliqué, avec un parcours riche d’intelligence et de sueur. Fondamentalement écologiste dès ses études à l’Institut de géographie de Paris, il a formé de très nombreux étudiants et acteurs sociaux, en créant et gérant des diplômes, en accompagnant des centaines de mémoires, sans abandonner après sa retraite, car il était demandé par de jeunes enseignants chercheurs et des collègues d’autres disciplines pour faire part de son expérience et accompagner des observations sur le terrain.
    Doué d’une parole féconde, d’une autorité naturelle et de beaucoup d’ironie, il avait scandalisé en inscrivant sur sa carte de visite « ancien élève des écoles primaires », et réitéré dans son faire-part de décès, qu’il a lui-même rédigé. Ses CV personnels étaient compartimentés selon le projet, si bien qu’il faut se remémorer son riche parcours pour en produire une esquisse
     
    D’abord vacataire cartographe dans l’embryon de centre de recherches voulu par Jean Cabot, membre du noyau cooptant du Centre universitaire expérimental, il a assuré des enseignements en géographie selon le modèle vincennois, en petits groupes, et de 9h à 22h. Après 1981, il fut parmi les « vacataires historiques » recrutés comme enseignants chercheurs à la suite de la mise au concours, par le gouvernement Mauroy, de postes réservés dans diverses universités, très insuffisants en nombre.
     
    Soucieux de donner des expériences de terrain aux étudiants, il a veillé à les accompagner, le dimanche, afin que les salariés puissent participer, et par des stages durant les vacances. Lorsque le château de Florac, devenu depuis le siège du Parc national des Cévennes, a été mis en vente dans les années 1970, il avait plaidé pour son achat par l’université afin qu’il devienne une base de stages. Devenu, à la même époque, propriétaire d’un mas dégradé près d’Alès, il l’a ouvert aux étudiants, leur permettant des initiations sans coût de logement. Il fut toujours soucieux de l’association pédagogie et recherche. Son doctorat fut pédagogique, le transect, observation de l’occupation des territoires sur des trajets, entre géographie et sciences de l’éducation. Il fut directeur du département de géographie au début des années 2000 et acteur de la création d’un master de géographie à Paris 8. Attaché aux fondamentaux de Vincennes, il y avait créé des enseignements hors normes comme « La chanson géographique » avec les textes des chanteurs qu’il aimait, tel Félix Leclerc, tandis que les cursus n’étaient pas encore étroitement corsetés. Il a lutté contre la tendance à la suppression des cours du soir, bien que sachant que le salariat étudiant était devenu précaire, sans rapports entre jour, nuit et semaine, contrairement aux années 1970.
     
    L’écologie humaine était son domaine. Auteur à la fin des années 1960 d’un mémoire avec Jean Dresch sur les pollutions des mort-terrains miniers dans les Cévennes (plomb, arsenic entre autres), pollutions qui ne semblent avoir été reconnues que dans les années 2010 si l’on en croit internet, il a travaillé avec Josué de Castro, venu à Vincennes après son éviction du Brésil par la dictature militaire. Il l’a convaincu de mettre sa notoriété au service d’un diplôme d’université d’écologie humaine et appliquée, appelant des militants écologistes, des journalistes, des politiques, à intervenir dans cette formation à vocation professionnelle. Ce fut le premier diplôme de ce genre en France. Il a participé à la première conférence internationale de l’ONU sur la protection de la nature, à Stockholm, en 1972, les géographes français en étant absents excepté Claude Collin-Delavaud, lui aussi de Paris 8. Il est devenu membre de la Commission des aires protégées de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), association pour laquelle il a effectué de nombreuses missions et colloques dont Johannesburg en 2002. Il a orienté des étudiants vers des mémoires avec aides financières, au Québec, en Afrique, au lac Baïkal en Russie…en les mettant en relation avec des associations, dont les Journalistes écrivains sur la nature et l’environnement (JNE), et Etudes et chantiers.
     
    Il avait mis en avant la notion d’anthropoclimax peu reprise par les « Ã©colos » et les scientifiques, notion pourtant à la base de diverses actions publiques tel le maintien d’écosystèmes paysagers d’origine humaine. En local, il a suivi et critiqué l’aménagement de la promenade plantée du 12° arrondissement sur le tracé parisien de l’ancienne voie ferrée de la Bastille, car pour lui la végétation naturelle devait juste y être aménagée et non pas supprimée au profit d’espèces horticoles. Il militait pour que les friches urbaines et industrielles soient laissées à leur évolution, et ouvertes au public. Parmi elles, la friche du gaz à Saint-Denis sur laquelle a été construit le Stade de France. Il y avait découvert et montré la reprise d’une végétation différenciée, dont une roselière à l’emplacement d’un ancien gazomètre, des cabanes de squatters, univers qu’il faisait visiter. Le bois de Vincennes, ancien site de l’université était devenu pour lui un site d’analyse des enjeux territoriaux avec les étudiants, bois de la ville, lieu de d’emprises et projets d’emprises. Il a aussi embarqué les étudiants sur d’autres sujets chauds selon l’époque : la gentrification du quartier du Marais à Paris avec l’éviction des locataires loi de 1945 via la RIVP (Régie immobilière de la ville de Paris) et ses « rénovations », la transformation des entrepôts de Bercy en Palais des sports et parc urbain où l’université de Vincennes a manifesté, les poubelles sauvages en ville, en apprenant à détecter les lieux de dépôt récurrents même nettoyés.
     
    Il a été parmi les enseignants adhérant à la création de la MSH Paris Nord au début des années 2000. Il y a initié des recherches hors modèles dominants, sur les parcours physiques des handicapés, notamment des aveugles, avec plusieurs mémoires d’étudiants et des expérimentations de parcours avec fauteuils ou d’aveuglés munis de canne pour les valides, avec Philippe Gajewski de l’atelier maquettes relief de Paris 8. Après la création de l’antenne Paris 8 du laboratoire LADYSS associé au CNRS, auquel le groupe de recherches d’écologie humaine qu’il avait créé a été rattaché, il a participé à des recherches collectives sur les privatisations post communistes en Hongrie et en Pologne.
    Il a co-organisé plusieurs colloques à Paris 8, dont en 1981 Faut-il supprimer les Parcs nationaux ? à l’aube de la présidence de François Mitterrand, avec l’aide du ministre de l’environnement Michel Crépeau, l’hommage à Raymond Guglielmo en 1990, celui du centenaire de Josué de Castro en 2009, sans compter nombre d’autres, dont le colloque européen d’ATTAC à Saint-Denis en 2003.
    Il avait créé une association, le CREV (Centre de recherches sur les espaces de vie) pour servir à des publications à compte d’auteur, et à des fins humanitaires.
     
    Marcheur, il a beaucoup manifesté contre toutes les « réformes » et actes contraires à sa conception de l’Université et de la société, avant 1968, en 1968 et depuis. On ne les compte plus : 1970 la loi Fouchet, Vincennes étant dérogatoire mais menacée, la loi Debré en 1973 et les réformes des études universitaires mettant en péril les « acquis de Vincennes » (études à la carte, unités de valeur cumulables, accès aux non bacheliers), en 1975 : la création des DEUG, en 1976 : la sélection à l’entrée des universités, la ministre Alice Saunié-Seïté étant très opposée aux pratiques Vincennoises, en 1980 : pour l’intégration des enseignants vacataires, contre la carte universitaire imposée aux étudiants étrangers, contre le déménagement de Vincennes à Saint-Denis, en 1986 contre la loi Devaquet (sélection et autonomie), en 1991 contre la réforme Jospin, en 1993 contre la politique de restriction d’accès en France des étudiants étrangers, et des professeurs étrangers invités, en 1994 contre le SMIC jeune, en 1995 contre le plan Juppé de réforme des retraites, en 1996-97 contre la réforme Bayrou des Universités, en 1998 contre les réformes Allègre, en 2000 pour la régularisation des sans-papiers, avec le problème des étudiants et enseignants étrangers, encore, en 2002 contre le LMD (division des études en 3 époques, licence-maîtrise-doctorat), en 2003 contre la réforme des retraites et « l’autonomie »des universités, en 2004 le LMD à nouveau, en 2005 la loi Fillon, en 2006 LMD, LRU et CPE, en 2007 Loi Pécresse, LRU avec retour des précaires dans l’université, contre le changement de statut de Présidents d’Université , en 2009, la « ronde infinie des indignés » initiée par Paris 8 contre les applications des lois LRU, le changement de statut des enseignants-chercheurs et des biatoss, la modulation de services des enseignants selon leurs publications, la délégation de l’avancement des enseignants aux universités, aux dépens de commissions nationales (CNU) ; contre la loi travail de 2016. Les manifestations de 2023 sont les seules qu’il ait manquées. S’il protestait, il restait dans la logique d’une université ouverte. Il était contre les « blocages », partisan et acteur de « grèves actives », accueillant les étudiants aux horaires de cours avec débats et analyses géographiques, et partant aux manifs avec ceux qui le souhaitaient, attitude peu appréciée des partisans des blocus. A de nombreuses reprises, il a pris en charge et géré des caisses de grève pour indemniser les plus touchés dans leurs ressources. Il a été l’un des organisateurs et acteur de l’accueil de la marche des Larzac à l’université de Vincennes en 1978.
     
    Il roulait, venant à l’université sur une vieille bicyclette. Son premier vélo neuf ; il l’a reçu de ses collègues à sa retraite, mécanique bien sûr, car le vélo électrique est polluant par ses batteries et les matériaux auxquels elles font appel, et par la production d’électricité même. Ne pas polluer ici pour polluer ailleurs ne lui est jamais apparu une solution, en dépit des influenceurs, car le milieu terrestre est complexe et ne se borne pas à l’atmosphère…de Paris !
     
    Bricoleur récupérateur, il faisait sans cesse des travaux de force. Il a été militant actif dès sa jeunesse dans l’association Etudes et chantiers à laquelle il a convié les premiers étudiants Vincennois qui jouaient un rôle important de moniteurs en géographie. Il a refait de ses mains, au prix d’accidents, son mas et son appartement de Paris. Les brocantes étaient son passe-temps, dans les Cévennes pour tout, et à Paris pour les livres. Il initiait aux récupérations d’encombrants dans la rue, de vélos à retaper pour les sorties de terrain. Amoureux de voitures anciennes, il n’a acheté que des occasions dans des granges, qu’il a remises en forme, quitte à se les faire voler dans son mas isolé. Nous sommes nombreux à nous souvenir des déménagements et emménagements qu’il a aidés avec sa camionnette.
     
    C’était un formateur exemplaire et impliqué usant de ses bras et de la pensée.
     
     Par Françoise Plet
     
     
     
     
    Références subjectives, mais représentatives, que chacun(e) peut enrichir :
     
    Pour l’entendre : Vincennes c’était là. maintenant c’est Paris8. 24 juin 2019 dans le cadre du cinquantenaire de l’Université Paris 8.
     
    Souvenirs d’étudiants historiques de Vincennes, dont de moniteurs du « bocal », pièce vitrée centrale de chaque étage des bâtiments construits durant l’été 1968 par l’architecte et entrepreneur Paul Chaslin, laquelle servait de salle de lecture de cartes au département de géographie :
     
     
     
     
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