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    Les orientations

     

    Les collections d’autochromes, de photographies et de films constituées entre 1906 et 1930 par le banquier Albert Kahn et le géographe Jean Brunhes, au travers du grand projet qu’ils nommaient eux mêmes « les Archives de la Planète », ont permis aux géographes de comprendre l’utilité et la nécessité de constituer de véritables corpus d’images « géographiques » homogènes. Pendant plus de 25 ans, les buts affichés étaient clairs : il s’agissait de photographier et "d’archiver" la planète entière, de fixer les paysages, les aspects, les pratiques et les modes de l’activité humaine.

     

    A l’heure de Google Earth et de la multiplicité des sources d’images, il nous semblait nécessaire d’entamer un véritable travail sur le rôle que prendrons les géographes dans la production des images d’un « nouveau monde numérique » naissant. Nous restons persuadés du rôle fondamental que peut et doit jouer notre discipline dans cette révolution de la représentation des espaces. Les géographes doivent nourrir à leur manière des corpus d’images qui décrivent, expliquent et racontent la planète. Laisser à d’autres le soin de répondre au devoir d’inventaire iconographique de la terre serait une erreur majeure. Ne plus se livrer, de manière régulière, à l’exercice de la géophotographie, amènerait à reconnaître implicitement la disparition du regard et de l’analyse spécifique à notre discipline.

     

    Mais, s’interroger sur la place des photographies dans la recherche en Géographie pose rapidement des difficultés de méthode. Autant l’illustration pédagogique dans la discipline est-elle bien étudiée, autant l’idée même que la seule image puisse faire l’objet d’une enquête ou d’un travail scientifique est-elle moins fréquente. Si la photographie géographique sert aisément à montrer, à expliquer, à démontrer un phénomène ou un processus exposé par un texte ou une explication orale, il est moins aisé de comprendre comment la photographie pourrait constituer le point de départ ou l’instrument d’une enquête géographique.

     

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    La carte topographique, géologique ou encore démographique est le point d’aboutissement d’un long travail d’observation et de recensement ; la carte de synthèse et le croquis présentés à la fin des articles sont le résumé graphique du travail de recherche. En géographie, l’iconographie intervient donc plutôt à la fin d’une chaîne logique, au terme de l’enquête, elle en est un produit dérivé plutôt qu’un document de travail.

     

    L’utilisation de la photographie aérienne ou des images satellites, et le « nouveau monde numérique », ont changé ces rapports traditionnels entre le texte et l’image. C’est désormais l’image qui constitue le point de départ de l’enquête, c’est elle qui fournit les premiers indices et les premières questions. L’image ou la photographie perd son statut d’illustration pour devenir un support, une technique de recherche à part entière. Sans perdre sa fonction pédagogique, l’image acquiert aussi une fonction euristique. L’image satellite sert à la fois de point de départ pour l’enquête de terrain et d’illustration pour les manuels et les démonstrations scientifiques. Ce renversement des rapports entre l’image et le discours scientifique est largement évoqué par les spécialistes de la télédétection, mais a peu fait l’objet d’études prenant en compte l’ensemble des documents photographiques dont les techniques actuelles nous permettent de disposer et essayant d’évaluer leur apport global à la recherche géographique.

     

    Dans le cas du corpus photographique, la nouvelle manière d’envisager le rôle de l’image pose plusieurs questions au géographe qui cherche à comprendre comment tirer le meilleur parti des documents et des techniques mis à sa disposition.

     

    Tout d’abord, la photographie n’a-t-elle pas eu une fonction heuristique bien avant l’imagerie aérienne ou satellitaire qui lui permet de montrer ce que l’on ne pouvait pas voir par ailleurs ? Si la photographie ne servait pas à la recherche en géographie, comment interpréter les tentatives comme celles des « Archives de la Planète » pour constituer des collections assurant la couverture d’une région. Quel était le rôle de ces grandes campagnes photographiques réalisées pour des géographes et parfois par des géographes ? Si les photographies avaient autre chose qu’un seul but pédagogique, à quel programme scientifique obéissaient-elles ?

     

    Il est essentiel de retrouver cette mémoire dans la mesure où les photographies anciennes constituent la base des séries documentaires photographiques sur lesquelles le géographe d’aujourd’hui peut travailler. Mais les séries dont il dispose sont-elles des collections disparates, résultent-elles des aléas du voyage ou sont-elles issues de la curiosité personnelle des photographes ? Pour pouvoir se baser sur les séries anciennes, il est nécessaire de comprendre la logique qui a présidé aux prises de vue, de reconstituer les itinéraires, de reclasser les documents en désordre, de relocaliser les endroits photographiés, de mesurer l’intérêt relatif des techniques et des cadrages utilisés.

     

    L’exploration de la géophotographie ancienne et de ses rapports avec la Géographie classique est délicate mais indispensable pour pouvoir intégrer ces séries anciennes dans des corpus contemporains d’images photographiques qui restent d’ailleurs à rassembler et à organiser.

     

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    Ensuite, comment peut-on articuler les différentes possibilités offertes au début de XXI ème siècle par les progrès de l’observation photographique (au sol, en aérien à basse altitude, à haute altitude et satellite) ? Est-il possible de combiner dans une même enquête les apports de ces différents modes d’observation ? Peut-on définir une méthode d’enquête géophotographique ? A chaque type et échelle d’observation photographique semblent correspondre des objets privilégiés et des lacunes. Les progrès des techniques permettent d’esquisser de nouvelles réponses et d’élargir sans doute le champ d’application des différents modes d’observation. Si les possibilités actuelles et à venir de l’observation satellitaire sont connues et bien étudiées, les possibilités nouvelles de l’observation photographique aérienne restent l’affaire de spécialistes.

     

    La photographie à basse altitude ou au sol, longtemps considérée comme un genre « amateur », reste assez peu étudiée. Les apports respectifs des différents modes d’observation les uns aux autres, l’intérêt d’un passage de l’un à l’autre n’ont pas vraiment fait l’objet d’une réflexion globale.

     

    Enfin, comment peut-on assurer aujourd’hui l’intégration des différentes observations photographiques dans une base de données commune qui puisse être efficacement mobilisée par les chercheurs en Géographie ? Quel type de standard adopter pour que les campagnes séparées puissent enrichir le corpus commun ? Force est de constater que l’effort initié par Jean Brunhes n’a pas été poursuivi. Les fonds photographiques sont finalement peu nombreux et dispersés. Les images qu’ils offrent sont souvent mal datées, peu localisées, à peine accompagnées de commentaires. Destinées à l’exposé pédagogique plus qu’à la recherche, les millions de photographies accumulées par les géographes ne font l’objet, aujourd’hui, ni d’un tri, ni d’un classement systématique, ni d’une conservation et encore moins d’une publicité. Il s’agit d’un patrimoine sous-exploité. A l’heure du numérique, il est sans doute temps de repenser l’intégration des collections disparates dans un système cohérent et ainsi de renouer avec une des préoccupations fondamentales des Archives de la Planète.

     

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    Le mouvement qui s’esquisse avec la prise en compte, dans les sciences humaines, des capacités numériques peut aboutir à la réhabilitation de la photographie dans l’enquête géographique d’autant que ses progrès en font un bon instrument pour approcher :

    • La diffusion des cultures matérielles : des séries de photographies importantes et bien classées peuvent faire apparaître la diffusion des produits, des modes et des technologies dans tous les domaines. Cette transformation des cultures matérielles est, notamment dans les pays les plus pauvres, un indicateur plus fiable de la transformation sociale que les taux de croissance, d’endettement ou le volume des exportations. A condition de déboucher sur un corpus aisément mobilisable, le géophotographe offre à la géographie sociale et culturelle un très vaste champ d’investigation sur ce thème.
    • Les formes informelles de l’économie rurale ou urbaine, qui n’apparaissent pas dans les statistiques, et qui, réprimées par les états et victimes d’une véritable loi du silence, font souvent l’objet d’une dissimulation notamment envers les étrangers. La photographie, précisément la photographie à basse altitude, permet de renseigner assez bien sur l’urbanisation spontanée et ses travailleurs, les mouvements et transports légaux ou non qui traversent les frontières, les exploitations sauvages ou les plantations illicites.
    • La dégradation du patrimoine naturel par le tourisme sauvage ou l’urbanisation incontrôlée. Non prévu par les plans d’urbanisme, les complexes touristiques et résidentiels sortent parfois de terre sans être pour autant facilement localisables ni même accessibles par la route. Les atteintes à l’environnement, déforestation, destruction des mangroves, bétonnage des littoraux, pollution par les eaux usées, décharges sauvages sont très lisibles sur les photographies à basse altitude, qui peut dès lors s’intégrer dans un système d’alerte précoce pour la protection de l’environnement.

    L’intérêt nouveau que peut prendre l’enquête géophotographique mérite d’être discuté d’un point de vue méthodologique et testé sur le terrain, mais il apparaît d’emblée que les séries photographiques ne pourront prendre tout leur intérêt qu’à condition de savoir combiner les avantages spécifiques de chaque technique de prise de vue (satellite, aérien, sol, fréquences IR par exemple), chacune présentant un intérêt particulier pour définir les questionnements, indiquer les cheminements, identifier les lieux ou les sujets à étudier, recueillir des informations et contribuer à leur présentation. Il s’agira également d’intégrer les séries réalisées dans un corpus cohérent à son tour mobilisable par des systèmes homogènes.

     

    Créer de nouveaux corpus, de nouvelles méthodes qui traduisent au mieux les modes de pensées et les problématiques géographiques, c’est également la possibilité de développer un regard géographique spécifique, intégrant mieux les possibilités de la photographie, des moyens modernes de mobilité et les possibilités d’intégration ouvertes par l’informatique. C’est, sur toutes ces questions que le pôle image se propose de travailler en restant au plus proche … du terrain.

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